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L'archipel

Entrevue filmée

Paul Caplette, agriculteur de Saint-Robert

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ENTREVUE
(9 minutes 42 secondes)

ENTREVUE DE PAUL CAPLETTE

Bonjour, Paul Caplette, je suis agriculteur associé avec mon frère Pierre. Je suis aussi associé avec ma mère qui elle possède la ferme familiale. J'ai été élevé sur la ferme ici qui était historiquement une ferme laitière qu'on a transformée en ferme de « grande culture ». Au fil des années, on a grandi un petit peu. On a 380 hectares en culture. Des cultures en rotation diversifiées. On a plusieurs cultures. On fait du maïs grain, du soya autant pour la semence que pour l'alimentation humaine. On fait du blé d'hiver qui est orienté pour la production de semence. On fait des pois de conserverie pour Bonduelle. On a fait aussi de la graine de lin. On a fait des petits secteurs en sarrasin. Ça c'est des petites cultures alternatives à côté. Et on a aussi une petite porcherie d'engraissement. On engraisse 400 porcs. On a 400 places, ce qui fait qu'on élève à peu près 1100 porcs par année.

Ce qu'il y a de particulier nous autres, c'est qu'on a au fil des années… Premièrement, on a développé une approche au niveau de nos cultures de ne pas juste faire du maïs, du soya. On a tout le temps visé les marchés « niches », les marchés de spécialité. Ça fait qu'on est producteur de semence certifiée, on est producteur sélectionneur de semences. Ça demande des habiletés spéciales et au niveau de la génétique des semences autant dans le blé, dans le soya. On en a déjà fait dans l'orge. Ça fait pratiquement pas loin de quinze ans qu'on est là-dedans. Puis, on a aussi une approche... On vise beaucoup le côté familial de l'entreprise. De garder une... Même si on a agrandi au fil des années, on a gardé une entreprise qui est exploitable par deux frères avec notre mère qui est déjà-là. Dans le fond, on agrandit de l'intérieur. C'est un peu en résumé ce qu'on fait depuis probablement dix, quinze ans. C'est de toujours augmenter la capacité de production de l'entreprise sans nécessairement agrandir. D'être efficace... C'est d'être efficace autant au niveau des intrants, autant au niveau des récoltes; au niveau quantité, au niveau qualité et aussi au niveau de la mise en marché. On essaie de se diversifier pour aller chercher des primes.

Au fil de ça, on a adapté des techniques plus « agroenvironnementales ». On a commencé dans les années 80 déjà à faire du travail réduit. Ce qu'on appelait... Moins faire de charrue, faire du « chisel », faire des travaux plus primaires pour garder des résidus à la surface du sol pour empêcher l'érosion. Ce qu'on fait mécaniquement, des fois, si on est un peu attentif, en faisant du semis direct, ces choses-là, on est capable de se faire aider par nos vers de terre, par les micro-organismes pour faire des chemins en faisant attention, faire attention aux vers de terre. Ça a l'air un peu niaiseux, mais, c'est de les respecter, de ne pas trop les brasser, de ne pas faire des tsunamis à tous les ans avec la charrue. En éloignant la charrue dans le cycle des rotations, les vers de terre sont capables de faire une bonne population active et font des canaux naturels qui ne coûtent rien. Ça ne coûte pas de carburant et ça nous aide à avoir de bonnes récoltes aussi.

On essaie de faire nos plantes en rotation, toujours alterner nos plantes en séquences pour que, par exemple, le maïs va toujours bénéficier d'être derrière une plante comme du soya qui lui fixe l'azote. On va mettre moins d'intrants « chimiques » pour combler ça. On fait aussi depuis... On fait un peu de fertilisation organique. On importe du fumier de poulet qu'on va chercher et qu'on incorpore dans nos sols, dans nos cultures d'été sur lesquelles on met des engrais verts qu'on a vu tantôt : de l'avoine, du radis, de la fèverole. Ça va capter ces éléments-là, ça va les mettre en nutriment végétal et à l'automne quand ça va mourir, ça va tout garder ça pour le redonner à la plante l'année suivante.

Les céréales d'automne, on trouve nous autres que c'est une belle culture parce que... Ici, on est chanceux dans le Bas-Richelieu parce qu'on a un peu plus de neige que d'autres régions. On est capable d'avoir un blé qui a plus de chances de passer l'hiver. On sème autour du 20, 24 septembre dans du soya qui a sa hauteur naturelle. Quand le soya perd ses feuilles, c'est la feuille qui tombe qui sert comme si c'était de la terre dans le fond. Ça va pourrir sur la graine. La graine va germer et ça va pousser.

On est allé un peu plus loin. On a aménagé nos sols en les nivelant pour éviter qu'il y ait des cuvettes. Parce qu'une cuvette d'eau fait toujours qu'à un moment donné, s'il y a trop d'eau, l'eau va prendre le chemin le plus court et elle va aller vers le point le plus bas. On appelle ça du ravinement, ça va traîner des sédiments de terre dans l'eau. En nivelant au laser nos terres en planches parfaites, ça a éliminé ça. Dans le fond, c'est d'éliminer l'eau pour protéger la culture, mais pas trop vite pour ne pas faire de ravinement. Tout ça, c'est calculé. Puis, on a aménagé des sorties d'eau avec des avaloirs. L'avaloir lui ce qu'il fait c'est qu'il va capter l'eau du champ. Il va y avoir une période de rétention, ce qui va permettre aux sédiments de se déposer dans le fond, dans le bassin de sédiments. Et puis, l'eau va arriver plus propre dans le cours d'eau.

Souvent, les agriculteurs vont se plaindre d'un cours d'eau parce qu'il n'égoutte pas. Il ne tire plus. Nous autres, c'est pas notre problème. Le cours d'eau est creux en masse. On s'est dit : « Ça n'a pas d'allure, faire tout cet ouvrage-là dans nos champs et avoir un cours d'eau qui, de lui-même, se creuse et envoie des sédiments. » C'est là qu'est venu... On a rencontré... On a parlé de cette problématique-là à la firme d'ingénieurs. Ils nous ont proposé quelque chose qu'on ne connaissait pas. Ils ont dit, on a un système, on appelle ça des seuils. Ça serait quelque chose qui serait intéressant. Ça pourrait ralentir votre eau. Parce qu'on a une pente qui est très abrupte, parce que Saint-Robert où on est... Il y a beaucoup de pente entre, moi j'appelle ça la rue Principale, ça tranche le village en deux, en allant vers la Baie de Lavallière. Il y a une énorme pente. C'est ça qui fait que l'eau prend beaucoup de vitesse. Plus l'eau prend de la vitesse, de la vélocité, plus elle emmène de terre avec elle. Alors, eux autres, ce qu'ils ont fait, ils nous ont proposé cet aménagement-là en faisant des mini, moi j'appelle ça des mini-écluses, des mini-talus à certains endroits stratégiques pour ralentir l'eau, la faire écouler dans un étranglement qui est aménagé avec un peu de pierres pour faire perdre de la vélocité à l'eau, une perte d'énergie. Après ça, l'eau tombe pratiquement au niveau jusqu'à la prochaine étape de descente.

Pour faire ce qu'on fait là, il faut vraiment aimer ça. Des « essayeux » comme nous autres, y en a aussi. On en voit des jeunes. On en voit des jeunes qui poussent et qui ont des idées. Au Club Lavallière, quand on se rencontre... On a des journées de champ l'été et l'hiver, on a une rencontre tout le temps un petit peu avant le temps des fêtes. Puis, on est tous dans des paroisses différentes. Puis souvent ces gars-là, ils sont regardés par d'autres alentour. Quand le petit gars s'est faire rire de lui pendant deux ou trois ans et là qu'il commence à réussir... Bien là, à un moment donné, il se fait dire : « C'est pas pire ton affaire! » Là, oups, ça prend trois, quatre, cinq ans et les gars embarquent.

Puis des fois, je me dis... Et c'est ça que j'essaie de faire avec des jeunes que je connais... On parle tout le temps de la relève du côté monétaire, mais ça nous prend une relève aussi au niveau connaissances. Tu sais, le pif qu'on a quand c'est le temps de rentrer dans le champ. C'est toutes des affaires qui sont du senti, tu sais. Les gens à l'école, ils nous disent que c'est le temps de semer. Il faut semer tôt. C'est quoi semer tôt? Semer quand le terrain est prêt. C'est quand, que le terrain est prêt? On faisait de la culture et puis on ne connaissait même pas nos plantes. On savait ce qu'elles prenaient. L'image du médecin des fois qu'on dit qu'on va à son bureau et qu'il dit : « Prends deux valium et tu vas dormir. Si tu ne dors pas, c'est parce que tu as un problème ailleurs. » Mais nous autres, on se disait: « Ça ne pousse pas, on va mettre de l'engrais. » Mais, ça nous a pris du temps. Là, j'arrive à 50 ans. Il m'en reste quoi 15, 20 à faire. Je me dis, ce qui est important pour moi, c'est pas juste de léguer une ferme avec des dollars. C'est de léguer du savoir pour le peu que j'ai.

Nous autres, on va s'enligner. On a nos outils. On a nos connaissances. On va tout faire le mieux qu'on peut toute la saison pour essayer de dire on est là, on est à tel stade pour se rendre parce que moi, je suis payé à la tonne. Je suis payé pour récolter à la fin de l'année. Si je manque le bateau là, c'est bien de valeur, mais je suis passé à côté. Je viens de mettre un x sur une autre saison. Et puis ça, c'est un « trill ». Quand t'a pogné cette piqûre-là, tu ne peux pas passer à côté. Je ne me vois pas, pas semer. Je ne me vois pas, pas semer. J'ai manqué un printemps dans ma vie en 2004. J'ai été malade. J'ai été six mois arrêté. J'ai dit au docteur : « Hey docteur! » On était rendu en juin, en juillet. J'ai dit docteur : « Je suis un "farmer". Je ne suis même pas capable de m'asseoir sur mon tracteur à gazon. » Il m'a dit : « Énerve-toi pas, fais ta physio. Énerve-toi pas. » Je me promenais en « running shoes ». J'étais même pas capable de marcher. Je n'avais plus de jambes. J'étais couché sur le dos. « Qu'est-ce que je vais faire plus tard? Qu'est-ce que je vais faire, si je ne suis plus capable de conduire le tracteur, je ne pourrai plus être "farmer"? Je vais me ramasser dans le bureau. Je n'irai plus dans le champ. » Il m'en ait passé des idées. Puis, quand les filles en physio m'ont dit : « Fais ton entraînement, fais attention à toi, tu vas te replacer. » Regarde. Ça fait huit ans et je suis comme un neuf. Ha! Ha! Ha! Ha!

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